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"Je suis Charlie": Après la mobilisation, l'analyse et la propositions

Dix jours seulement sont passés depuis le drame de Charlie Hebdo. Sept jours seulement sont passés depuis la fin de la traque des deux suspects et de l'attaque de l'hypercasher de la Porte de Vincennes. Cinq jours seulement sont passés depuis la "marche républicaine" qui a rassemblé des millions de personnes en France et des milliers dans le monde. Cinq jours, où l'unité nationale a été le maître mot, où la liberté d'expression le fer de lance, où l'hypocrisie générale a régnée en maître sur la réelle définition du terme Liberté, prononcé même par les plus liberticides de notre planète.

Alors oui, il nous faut expliquer pour se mobiliser, se mobiliser pour analyser, et analyser pour proposer. Il nous faut invoquer nos propres connaissances, nos propres théories basées sur notre propre vécu et notre propre ressenti.

 

 

Cet acte a une implication historique, mais laquelle?

L'implication historique est aussi diverse que l'est l'histoire du monde occidental et oriental, ponctué de ses péripéties coloniales et esclavagistes, de ses stigmatisations populistes à défaut d'être populaires.

L'implication historique est liée à la colonisation du monde Arabe par le monde occidental. L'interprétation de cette période, et des guerres qui en ont suivi, par des gosses issus de la deuxième ou de la troisième génération de l'immigration en France en est pour beaucoup. L'interprétation, parfois réelle, mais souvent exagérée, des évènements du 8 mai 1945, jusqu'aux arabes dans la seine en octobre 61, est là et existante. Elle sera même résistante tant que le processus de deuil de ces évènements n'aura pas fini son travail; et il aura fini son travail le jour où, même dans les écoles de ZEP, nous arriverons à enseigner tous les évènements historiques sans stigmatiser ou critiquer l'opinion de l'autre.

L'implication historique est lié également à la marche pour l'égalité, requalifiée par SOS Racisme de "marche des beurs", et à toutes ces conséquences dans la société: la "beurgeoisie", l'émergence de radios et de TV "beurs", l'énorme déception qui s'en est suivi. Une déception telle que des "émeutes", que j'appellerai plus des révoltes, sont nés dans les quartiers ghettos, où sont parquées depuis les années 1950 les populations immigrées, bien malgré elles.  Cette immense déception qui s'est traduite par un renfermement, un repli sur soit, une recherche identitaire. Une manière de dire "puisqu'on ne veut pas de nous, on ne veut pas d'eux"; "puisqu'on nous qualifie de beurs, on les qualifie de français". Une manière d'exprimer un mécontentement général, lié au mauvais investissement de l'école de la République, qui continuait, et continue encore aujourd’hui, à raconter l'histoire de France d'une manière unilatérale alors que la France est aussi diverse que son histoire l'est, que l'Algérie n'est pas le seul pays qui a souffert de la colonisation, que la région de l'Indochine en a eu aussi pour son grade, tout comme les DOM-TOM au moment du commerce triangulaire.

 

Analyse et tentative d'explication du jeu politique

Je ne suis pas politique, ni même politologue, ni même fin connaisseur du domaine de la sécurité intérieure et extérieure, mais simple citoyen qui constate, qui emploi sa liberté d'expression pour essayer de comprendre.

Le jeu politique de cette dernière semaine a été très subtil. On a eu, d'un côté, un gouvernement aux abois qui a tenté, en croyant y réussir, de faire d'une union nationale l'idéologie dominante de la pensée unique, appelant chacun à respecter la liberté d'expression, tout en préparant des lois d'exceptions. D'un autre côté, une opposition morte, dénuée d'objectivité, incapable de réfléchir et de voir plus loin que le bout de son nez, réclamant à corps et à cris un patriot act, ou apparaître en tête de toute les photos officielles, même sans y être invité.

Le jeu politique, qui consiste à des postures, des apparences de façade, a permis à l'exécutif de montrer qu'ils avaient la maîtrise de ce qu'il se passait, en balayant sur son passage toute opposition sur le principe de réconciliation nationale et de droit à la liberté d'expression.

Le jeu politique nous a démontré que, depuis très longtemps, des lois d'exceptions étaient envisagées, et qu'ils n'attendaient qu'un drame pour les appliquer. L'union nationale, qui prévaut en matière de sécurité intérieur et extérieur, a permis de mettre en œuvre une prolongation sur la durée du plan Vigipirate, mais aussi d'intensifier les opérations extérieures.

Mais le jeu politique, sous sa façade de liberté d'expression, a aussi profité de l'émotion générale pour faire comparaître de manière immédiate des personnes tenant des propos qualifiés pénalement "d'apologie d'acte terroriste". Ce délit, dont presque tout le monde ignorait l'existence, passible de 7 ans de prisons ferme, n'est pas considéré, par l'unité nationale ambiante, comme un déni de liberté d'expression. C'est la réponse du jeu politique aux imbéciles qui accordent un crédit véritable aux salops de la semaine dernière.

 

À chaque fait divers, une réponse sécuritaire

Depuis plusieurs années, la réponse sécuritaire à chaque fait divers est prônée. Nous sommes un des pays d'Europe où les lois portant sur la sécurité du territoire, sur les dispositifs pénaux de répression d'actes et de propos racistes, de négationnisme, d'acte terroriste, naissent comme des champignons. Nous inventons lois sur lois, en stigmatisant toujours plus des groupes de personnes, sans se poser les bonnes questions, et sans prendre le temps de réfléchir.

Depuis plusieurs années, ce beau pays préfère ignorer l'appel des travailleurs de terrains, qui demandent inlassablement des moyens pour éduquer nos jeunes, plutôt que des moyens pour les foutre en prison. Nous ignorons l'appel du SPIP qui décrit une situation de chaos pour ces jeunes sortis de prison, souvent embrigadés dans des groupuscules tous plus bizarres les uns des autres, pour sauver leur peau, ou, au risque de paraître vulgaire, leurs fesses.

Depuis plusieurs années, notre France, Terre des Lumières et des Libertés, prive de liberté de manière provisoire des milliers de jeunes, souvent désœuvrés, mal éduqués, en échec scolaire et sociale, pour les écarter de la société car ils sont soupçonnés d'avoir commis tel ou tel crime. Ces jeunes, mis en examen et gardés au chaud, parfois 12, 24 ou 36 mois en détentions provisoires, ressortent souvent libre, car ayant soit déjà effectué leur peine une, deux ou trois fois selon le temps de détention provisoire, soit étant tout simplement innocent mais n'ayant pas eu le bon avocat au bon moment.

 

La solution ne serait-elle pas l'éducation ?

Un très bon ami a moi m'a dit un jour que l'éducation s'apprenait, qu'il fallait savoir laisser à chacun sa chance, en le poussant un peu, mais en faisant confiance en son libre arbitre. Ce très bon ami avait raison, en grande partie.

Que nous a appris cette affaire: que les deux suspects de l'attaque de Charlie seraient orphelin, auraient vécu de foyers en familles d'accueil, connus les services sociaux, la protection de l'enfance et ses manques de moyens et de formations. Puis ils ont connus la prison, l'embrigadement perpétuel et continu depuis leur adolescence, sans personne pour les remettre sur les rails, persuadés qu'ils étaient d'être sur la bonne voie.

Si on comprend réellement cet apprentissage, on peut en tirer des conclusions, autres que sécuritaire. Si on entend ces faits, qui n'excusent en rien leur attitude, on peut essayer d'apprendre de nos erreurs à tous, et chercher à faire en sorte que la prochaine génération, aujourd'hui au collège, ne devienne pas pire que ces gens-là.

Alors apprenons ensemble, et écoutons. Écoutons ces jeunes qui ont refusé de faire la minute de silence sans les stigmatiser. Écoutons ces jeunes qui ne veulent pas être Charlie, mais qui ne comprennent pas pourquoi. Écoutons et travaillons, nous travailleurs sociaux, enseignants, proviseurs, parents. Sachons expliquer, avec l'aide de tiers s'il le faut, ce qu'il s'est passé. Sachons tirer les conséquences de nos erreurs individuelles et collectives, et redonnons de l'humain avant de parler à coup de matraque!

L'école doit agir, mais avoir les moyens pour cela. La protection de l'enfance doit être efficace, mais doit avoir les moyens de protéger. Les services sociaux doivent retravailler leurs pratiques, mais avec les moyens de se questionner. Les parents doivent éduquer, et non dresser,  mais avec l'aide de services étatiques, départementaux et associatifs performant et humains, sans jugement aucun, sans bienveillance mielleuse, avec professionnalisme et capacité à la remise en question.

 

 

Le salut de la France passe par sa jeunesse, par la nouvelle génération qui est actuellement en primaire, au collège ou au lycée. La déchéance de la France passe aussi par cette jeunesse, si les ainés n'y prennent pas garde, ne pense pas l'histoire et le jeu politique, et ne font pas attention dans le but de protéger nos enfants.

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