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La sécurité est la première des libertés

Il n'est pas simple d'être policier ou gendarme aujourd'hui. Il n'est pas simple non plus d'être un agent de sécurité privé, souvent sous-payé, presque toujours étranger en situation régulière (ou irrégulière). Mais il devient de moins en moins simple de se sentir citoyen en sécurité. 

Depuis l'âge de 13 ans, âge auquel mes parents m'ont autorisé à sortir seul hors du quartier où je vivais, je vis dans ma chair et dans mon sang les humiliations régulière des forces de l'ordre : du simple suivisme à l'intérieur d'une boutique par peur qu'un vol soit commis jusqu'au contrôle d'identité plus ou moins musclé. J'ai vu des policiers en tenue courser des "potes" de cité qui avaient le même âge que moi. J'ai appris à courir quand on courrait devant moi "au cas où". 

C'est quelque chose dont, malheureusement, on prend vite l'habitude et qu'on a tendance, en tout cas pour ma part, à banaliser et à "faire avec". J'avais d'ailleurs, dès le plus jeune âge, et avant même de sortir hors de mon quartier, ma carte d'identité toujours sur moi, à la demande de ma mère "au cas où". 

 

Depuis cet âge, j'ai aussi appris à acquérir une certaine conscience politique. D'abord l'acquisition fut balbutiante, car quand on est ado, on a des certitudes. Puis elle fut réfléchie et pensée, à la faveur de lectures et de visionnage de documentaires.  

J'ai fait mes premières manifestations en 2002, après le 21 avril. Je n'avais pas encore 14 ans. J'y ai appris ce qu'était une manifestation, et les contrôles qui s'y faisais à l'époque, en toute bienveillance, à l'entrée et à la sortie de la manifestation. 

J'ai fait les manifestations contre la guerre en Irak, ou des drapeaux Palestiniens flottaient là on ne sait pas trop pourquoi. 

Puis j'ai connu le premier état d'urgence en novembre 2005, avec ses manifestations "interdites" qu'on faisait quand même, avec les hélicoptères au-dessus de là où j'habitais, avec les "flics" qui encadraient le quartier alors que rien n'y a jamais brûlé.

Puis les manifs contre le CPE, où là c'était un peu chaud. Grenade de gaz lacrymogènes, encerclement des forces de l’ordre, quelques blessés, affrontement entre manifestants... les syndicats tenaient le jeu, et le tenaient plutôt bien dans l'ensemble. 

 

S'en est suivi une dizaine d'années militantes et manifestantes, jusqu'à janvier 2015 où tout, tout, a basculé. 

La manif de Janvier 2015 on a remercié les "flics" qui nous encadraient. Ils étaient bienveillants, souriants. Mais les manifestations suivantes, sur d'autres sujets, ont été plus problématiques. 

Les manifs contre la loi travail en 2016, où la police a fait tourner en rond les manifestants autour de la Bastille avant de gazer tout le monde. Cette période a marqué le pas de la violence du maintien de l'ordre pendant ces manifestations. Bien sûr, en face, des gens se sont regroupés et ont répondu à la violence par la violence, et ont aussi souvent créé le climat de violences du maintien de l'ordre. Ces groupes existaient déjà avant, mais la doctrine était différente et moins brutale. 

En 2018, plusieurs citoyens ont été éborgnés par des flashball. Je ne savais même pas qu'on avait le droit d'en utiliser en manifestation. Puis, fin 2019 début 2020, on a vu réapparaître les "voltigeurs", ces policiers par groupe de deux en moto (un conduit, le second tape). Je me rappelle d'une manif à Bordeaux où j'étais avec les enseignants, et où, alors qu'on était arrivé à destination et que les gens se dispersaient peu à peu, la police est intervenu sans raison apparente.

Malik OUSSEKINE ; Zied et Bounah ; Rémi FRAISSE ; Adama TRAORE ; Cédric CHOUVIAT

Théo ; les gilets jaunes éborgnés ; la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes ; les réfugiés expulsés sans ménagement par la place de la république ; Michel ZEKLER...

J'en passe et j'en oublie certainement...

 

Depuis plusieurs décennies déjà, les actes et violences de certains éléments des "forces de l'ordre", des polices municipales, de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale, sont scrutés. D'abord cantonnées aux quartiers dits "populaires" des années 80 aux années 2010, elles se sont accentuées et ont gagnées petit à petit les manifestations et les contrôles ordinaires. A la faveur d'une virée sécuritaire qui a débutée en 2002, de l'état d'urgence de 2005, puis de la lutte contre les attentats qui a elle-même conduit à un état d'urgence, jusqu'à la crise sanitaire qui a elle-même conduit à un nouvel état d'urgence, les services de Police semblent avoir de plus en plus de pouvoirs avec de moins en moins de moyens. Dès lors, et avec l'avènement des réseaux sociaux, ces affaires se multiplient et se médiatisent. La prochaine loi qui est en cours de discussion accentue d'avantage ces pouvoirs, en donnant aussi la baguette aux services de sécurité privé. 

 

Ainsi, depuis cinq ans, à la faveur des vidéos partagées sur internet, nous avons une connaissance plus directe de ce qu'on appelle les "violences policières". Mais elles existaient déjà avant. 

Quand j'étais éducateur de rue, des jeunes et d'autres collègues m'ont raconté les tabassages dans les commissariats à la faveur d'une garde à vue ou d'une vérification d'identité. J'ai moi-même vécu, dans le cadre de mon métier ce coup-ci, des contrôles exercés par des "flics" cow-boy, qui ne supportaient pas la réponse légale à leurs questions et à leurs agissements. 

Plus récemment, j'ai failli me faire interpeler pour avoir dit le mot "flic" en disant à ma compagne, elle-même non voyante, "attention il y a une voiture de flic garée sur le trottoir". Le policier a alors ouvert sa fenêtre et m'a demandé de répété. Je lui ai alors redis en face, en lui disant aussi qu'en l'absence de gyrophare il n'était pas identifiable comme étant en intervention, et que donc il était en stationnement gênant. Il m'a alors menacé d'une interpellation, avant que je continue mon chemin sans lui répondre. Avec le temps, on apprend à faire profil bas.

Alors, avec ce vécu, pourquoi je n'écris que maintenant? Parce que l'actualité est prégnante et pressante : loi sécurité globale interdisant de filmer la police mais les autorisant à effectuer de la reconnaissance faciale "pour des raisons de sécurité" ; interpellation et violences contre des journalistes ; violences sur des réfugiés ayant installé des tentes sur la Place de la République à Paris sur ordre du préfet de police (le même qui avait installé des chars de la gendarmerie au moment du mouvement des gilets jaunes alors qu'il était préfet de Gironde), violence sur un producteur de musique et neuf jeunes...

 

Demain, je vais manifester. Je vais manifester pour défendre les libertés publiques. Je vais manifester pour défendre le droit de se sentir en sécurité, y compris en étant proche des forces de l'ordre. Je vais manifester contre la loi "sécurité globale". Je vais manifester pour une meilleure société pour mes enfants. 

Mais demain, pour la première fois de ma vie, en 18 ans de militance politique et syndicale, j'ai peur d'aller manifester. J'ai peur d'un mauvais coup de matraque, d'une garde à vue, d'une balle perdue fût-ce en caoutchouc.

La vraie question à se poser est quelle société voulons-nous pour nos enfants? Voulons-nous d'une société où le racisme est complètement décomplexé (et quelque-soit la forme de racisme hein!)? Voulons-nous d'une société où nous avons peur de croiser un policier et de faire un geste mal interprété? Voulons-nous d'une société où nous avons peur d'aller manifester à cause d'une doctrine de maintien de l'ordre et d'abrutis de tous bords? 

 

La sécurité est la première de nos libertés... et ne pas avoir peur de ceux qui doivent l'assurer est essentiel pour assurer cette liberté! 

PS : désolé pour mes parents qui liront ici quelques unes de mes frasques et de mes mésaventures....

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