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Handicap : stop à la Violence Symbolique

HALTE AU FEU ! C’est par cette expression symboliquement violente que les personnes dites « différentes » peuvent manifester leur mécontentement face à la pitié généralisée des associations « représentatives ». C’est aussi par cette expression qu’elles peuvent crier leur volonté de cesser de les renvoyer à leur différence, caractérisée de handicap. Mais, pour bien comprendre leur souhait, qui est aussi le miens étant moi-même concerné, il convient d’expliquer plusieurs termes et de revenir un peu sur l’historique du handicap dans notre beau pays.

D’où venons-nous ?

Notre société a toujours considéré le handicap comme une différence pouvant caractériser les êtres humains comme étant valides ou invalides, forts ou faibles, normaux ou différents. J’en veux pour preuve la naissance des asiles pour handicapés sensoriels, disparus peu à peu au XXe siècle pour être remplacés par des maisons tenues par des bonnes sœurs où l’on apprenait un métier adapté à une déficience.

Au courant du XXe siècle, le handicap est devenu cause nationale, notamment après la guerre du Vietnam et la première loi handicap en 1975. On a donc donné une définition et un état aux personnes ayant une déficience sensorielle, physique ou intellectuelle. On appelait alors ces êtres humains comme « handicapés » au lieu d’employer le terme de « personne ». Puis, il a été décidé dans les années 80, et plus précisément en 1986, qu’il était louable d’ « intégrer » les personnes handicapées au monde « normal », c’est-à-dire aux écoles et au monde du travail dit ordinaire, à hauteur de 6% pour chaque entreprise. C’est au début du XXIe siècle que la terminologie qualifiant les personnes handicapées a changé, parce qu’il fallait instaurer du politiquement correct en parlant de « situation de handicap ». Cette loi, du 11 février 2005, a néanmoins amené plusieurs améliorations comme la mise en accessibilité de la société à tous les types de handicap, par le biais des transports, de la voirie ou encore des bâtiments publics, même si le délai de mise en place est passé de 10 à 20 ans. Une nouvelle catégorie de handicap, oubliée jusque-là, a également fait son apparition : le handicap psychique. On y a cependant oublié le droit de vote ou encore la sexualité et la parentalité des personnes ayant un handicap. Le paradoxe de toutes ces lois : elles ont été faites pour répondre à des souhaits d’inclusion sans que des moyens financiers et humains conséquents y soient attribués pour que leurs buts se fassent avec le moins d’accrocs possibles.

Mais pourquoi parle-t-on de Violence Symbolique ?

La violence symbolique est très difficile à définir, surtout juridiquement. C’est un acte ou une parole qui peut vous paraître insignifiante, mais qui est violent pour celui ou celle à qui cet acte ou cette parole est destinée.

Prenons un exemple concret. Vous êtes dans le train, et vous voyez une femme accompagnée d’un chien-guide essayer de descendre du train. Vous allez instinctivement vouloir l’aider, en lui prenant le bras ou en guidant le chien par sa laisse ou son harnais, même si cela peut s’avérer dangereux et insécurisant. Mais cette personne était-elle réellement en difficulté ? Avait-elle besoin d’aide ? Était-elle en demande ? Vous n’y avez pas songé. Vous l’avez aidée, maladroitement, mais quand même, parce que c’est bien d’aider son prochain le plus vulnérable. Doublement vulnérable parce qu’en plus d’être une femme dans le RER, c’est une personne aveugle et elle risque de tomber. C’est déjà courageux de sa part de prendre le train. Vous ne comprendrez pas alors pourquoi cette personne vous dira d’aller voir ailleurs car elle se débrouille. Vous la jugerez maladroite et impolie. Après tout, vous vouliez juste l’aider. Alors oui, cette dame a été violente envers vos bons sentiments, mais savez-vous quelle violence vous lui avez amené en voulant bien faire, en voulant l’aider contre son gré ? Vous l’avez, sans le vouloir, ramené à son handicap, a sa supposée incapacité de prendre le train seule, d’en descendre sans trébucher, d’avoir une vie ordinaire, comme vous. Vous l’avez abaissée à l’état d’être humain vulnérable, inférieur à vous qui n’avez pas de problème de vue. En ne lui demandant pas si effectivement elle avait besoin d’un coup de main, vous lui avez imposé une aide qui était maladroite, car l’aide est bonne à partir du moment où l’autre l’accepte volontairement et où elle ne se mue pas en assistanat.

Un autre type de violence symbolique d’actualité ? Le téléthon ou encore les campagnes de dons des associations dites « représentatives ». Certes, l’objet de ces actions est louable : pour l’un c’est de faire vivre la recherche génétique et pour l’autre de faire vivre leur association et leurs comités locaux qui œuvrent au quotidien pour apporter un accompagnement aux personnes ayant un handicap. Mais que pensez-vous de la manière dont ces campagnes sont orchestrées pour attirer des dons ? D’un côté, on a des campagnes télévisées avec des pauvres petits enfants en fauteuil roulant, tout content d’être à la télévision, ou pas. D’un autre, pour l’association Valentin Haüy pour ne citer qu’elle, on a une publicité avec une personne qui décore son sapin de noël, et une voix off qui nous dit que son handicap l’empêche de vivre si l’AVH et vos dons ne sont pas là pour l’aider au quotidien. Mais s’est-on un jour posé la question de ce que ressentaient les personnes concernées indirectement par ces campagnes ? S’est-on dit que ce type de campagne pouvait nous desservir et desservir l’humanité toute entière plutôt que de la servir ? S’est-on dit que ces campagnes, peut-être louables, pouvaient être violentes ? Peut-être que ces questionnements ont été posées mais une majorité de campagne de collecte de don financier a pour but seul et unique d’avoir de l’argent en jouant sur la corde sensible et non en sensibilisant sur la réalité de la vie au quotidien.

Ignorance du handicap, xénophobie, ou formatage d’une société !

Les associations sont pour beaucoup dépassées. Elles ne sont plus représentatives et se moulent à une vision caritative du handicap. Elles se bornent à tendre l’autre joue par de la médiatisation avec la personne, la structure ou l’institution discriminante alors qu’il faudrait agir plus en profondeur pour arrêter les discriminations qu’elles-mêmes produisent parfois. Leurs conseils d’administrations ne servent plus à réinterroger les objets de ces associations du fait des progrès technologiques et médicaux, mais servent à chercher l’adhérent, le client, le don, en usant de toutes les stratégies possibles sans remise en cause de l’intérieur envisageable. On revient quarante ans en arrière, avant la première loi sur le handicap.

On parle d’accessibilité pour tous sans parler de la responsabilité pour tous. On parle du handicap comme étant une faiblesse, et non une force. On parle de la parentalité des humains porteurs de handicap comme quelque chose de courageux et non quelque chose de normal.

On oublie nous-même que nous sommes partie prenante d’une société, des stéréotypes qu’elle crée, des visions qu’elle a. On oublie que chaque être humain a ses différences, et que celles-ci méritent forcément une adaptation de l’autre ou de l’acte pour que l’interaction se fasse. Nous, personnes porteuses de handicap, en oublions aussi notre part de responsabilité en acceptant l’inacceptable. Par l’acceptation tacite des passe-droits, nous nous rendons coupables de ce préjugé misérabiliste que nous dénonçons. Par l’acceptation des inadaptations des lieux publics ou des formations scolaires ou du monde du travail, nous disons qu’il est normal que l’on soit discriminé. Par l’acceptation du « bon sentiment », nous approuvons notre infériorité face à la personne voulant bien faire. Nous sommes responsables de nos actes au quotidien, et de la vision dont la société aura de son prochain.

Grandissons ensemble vers l’Humanité !

Aujourd’hui, il faut se décider à rentrer dans le droit commun, quelque-soit le handicap. Alors oui, certaines personnes auront peut-être besoin de plus d’attention, d’être plus accompagnées que d’autres dans la vie quotidienne, comme chaque citoyen ; mais nous devons arrêter de penser droit spécifique pour pouvoir nous inclure complètement dans une société qui ne veut pas du handicap par peur, par méconnaissance, par ignorance. Nous devons être pédagogue, sans avoir la prétention de savoir ce que vit l’autre dans son for intérieur. Nous devons nettoyer devant notre porte, et arrêter de penser que l’autre vit dans un autre monde, car nous vivons tous dans le même.

Il y a également des actions politiques à mener, du courage politique à avoir. La prochaine réforme du handicap devra être portée par le chef ou la cheffe du gouvernement, et pas par le ministère de la santé et/ou des affaires sociales. La prochaine réforme du handicap devra porter sur la mise en accessibilité du droit commun, pour que chaque citoyen puisse se sentir citoyen et qu’il n’y ait pas plusieurs types de citoyenneté et pas du droit spécifique qui s’ajoute à la loi. La prochaine réforme devra être pédagogique, pour que les gens comprennent que l’accessibilité est bénéfique à tous, et pas seulement aux personnes circulant en fauteuil roulant ou aux déficients visuels. La prochaine réforme devra être portée par des associations progressistes dans le champ du handicap, qui disent ce qui peut amener à déranger car cela bouscule nos préconçus collectifs. La prochaine réforme devra être internationale, et ne pas porter uniquement sur les barèmes de l’OMS pour caractériser ce qui est ressort de la reconnaissance du handicap. La prochaine réforme devra arrêter d’être charitable et cesser d’apporter des palliatifs financiers au handicap pour y amener de l’inclusion sociale et citoyenne, hors de tout cota et de toute discrimination, aussi « positive » soit-elle. La prochaine réforme devra apparaître dans la constitution, pour que le handicap ne soit pas une chose que l’on doit considérer par charité mais parce que cela touche véritablement, de manière durable ou éphémère, tout le monde, toutes les strates de la société, toute l’humanité.

Personnes dites en situation de handicap, nous devons faire notre apparition de manière durable dans des organisations de la société civile, dans des associations, dans des cercles de réflexion, dans des partis politiques ou encore dans des organisations syndicales. Nous devons apparaître dans la société comme un membre dont elle dépend à part entière.

Nous pouvons aujourd’hui décider, nous êtres humains, de se grandir et de dépasser ces différents stéréotypes et jugements de valeurs. Alors cessons la violence symbolique et travaillons ! Déconstruisons nos préconçus ! Balayons notre inconscient collectif pour en tirer le meilleur ! Reconstruisons une société pour tous ! HALTE AU FEU !

* Article écrit en mon nom propre, à paraître en janvier 2015 dans la revue du Cercle Nationale de Réflexion sur la Jeunesse

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